La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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19 juillet 2013

Une juste harmonie

«Agencement entre les parties d'un tout, de manière qu'elles concourent à une même fin. » Voici la définition donnée par le Littré du mot Harmonie. Les musiciens et mélomanes avertis parlent souvent d'harmonie pour un orchestre ou une chorale quand les diverses parties qui composent le tout jouent ou chantent dans un juste équilibre qui leur permet de conclure la pièce musicale dans une fusion totale. Dans le cas contraire, on parle de cacophonie, de dissonance, voire d'antagonisme.

Jon Harlouchet, comme d'autres agriculteurs de notre région, a bien compris cette règle, au point qu'il s'en est fait une philosophie, non seulement de vie, mais aussi de travail. Se définissant comme un paysan - un homme du pays - il a fait de sa ferme un véritable hâvre de bien-être et de bien vivre. C'est à Bussunarits, à une poignée de kilomètres de St Jean Pied de Port, que ce jeune agriculteur est passé, dans les années 2000, d'une agriculture conventionnelle à une agriculture biologique. « Au début, c'était plus par philosophie. » aime t-il rappeler, « plus d'indépendance, plus de liberté… » Ses choix le poussent à remplacer ses vaches Holsteins noires et blanches par des Montbéliardes. Elles sont maintenant vingt-cinq et produisent un lait bio de grande qualité qu'il vend aux particuliers et aux collectivités locales (collèges et lycées notamment sous forme de yaourts). Si les vaches peuvent profiter des 30 hectares de prairies pour se dégourdir les pattes - elles partent aussi en estive respirer le bon air des montagnes alentours - les 5 hectares restant sont consacrés au maïs. Et c'est ici que le plus grand changement a été opéré. Jon a choisi de cultiver un maïs population, le Grand Roux Basque.

Il y a environ 9 000 ans, les Incas cultivaient le maïs au Mexique pour son amidon. Afin d'augmenter le rendement de cette plante, ils croisaient les meilleures entre elles. De longues années plus tard, Christophe Colomb - parti découvrir les Indes - rapportait des Amériques quelques échantillons en Europe. L'adaptation de cette plante tropicale sous nos latitudes fut remarquable, notamment dans le pays basque. Cultivé alors pour ses vertus nutritives, le maïs a connu un essor considérable à partir du XIXe siècle. Une population appelée Grand Roux Basque a fait les beaux jours des vallées de notre région jusqu'aux années 50 quand les semenciers ont imposé les hybrides puis les OGM.

Le seul « défaut » du Grand Roux Basque, c'est qu'il n'est pas inscrit dans le catalogueQu'est-ce que ce catalogue  si important ? Tout simplement une liste de semences hybrides fabriquées par les semenciers et vendues aux exploitants en fonction de leurs demandes et de leurs capacités. Ces maïs sont des clones qui dégénèrent la génération suivante, on ne peut donc les semer qu'une seule fois. Précisons aussi que ces semences sont vendues avec leurs pesticides et insecticides adaptés… Merci !
Voilà, en quelques lignes, ce que combat Jon Harlouchet et quelques agriculteurs afin de redonner à leurs terres des plantes qui se sont intégrées au fil des décennies à ce terroir. Le Grand  Roux Basque appartient depuis des siècles à cette terre. Que, sous l'impulsion de ces quelques courageux hommes du pays, il y revienne, qu'il s'y multiplie, qu'il exprime tout son caractère dans nos champs, et qu'il emplisse nos assiettes de polenta goûteuse et sauvage, ne peut que nous ravir. 

Si une partie de la production de Jon est triturée dans la meule que récemment des artisans lui ont fabriquée, l'autre sert de fourrage pour ses vaches. Une herbe qu'il dorlote avec tendresse sous le toit de sa grange grâce à un ingénieux système de ventilation. En plus de cette nourriture saine pour ses Montbéliardes, il lui arrive de les soigner avec des huiles essentielles. Voilà des vaches bien nourries, en pleine santé, qui produisent à leur tour un lait naturel et sans artifice, puis un fumier qui servira d'engrais aux champs de maïs. C'est une véritable révolution qu'accomplit Jon dans sa ferme : comme un cycle de la vie où chacun trouve sa place et apporte à l'autre ce dont il a besoin. La nature, ensuite, dans sa grande générosité, fait le reste… en pleine harmonie.