La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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29 octobre 2012

Au Bouchon Basque à Bayonne


C'est au milieu du XXe siècle que le mot Bouchon prit ses lettres de noblesse avec le Bouchon Lyonnais, restaurant typique, simple et convivial où s'épanouit une ambiance dont la fortune procède de critères impondérables tenant de la qualité du vin servi au comptoir et des plats annoncés sur l’ardoise, mais aussi et surtout de la tête du patron ! C’est le cas du Bouchon Basque de Bayonne qui affiche, dès l’entrée, une belle citation que je me fais un plaisir de vous offrir en guise d’amuse bouche : « Une philosophie de l’existence prône comme principe élémentaire la recherche du plaisir. Le Bouchon Basque n’est pas forcément libertin (c'est-à-dire en rupture avec les bons usages de son temps) mais pour ainsi dire "bon vivant" avec une petite pointe d’appréhension qui touche à la fragilité des choses agréables que l’on sait éphémères ». Dans ce Bouchon Basque où le sourire va de pair avec la gourmandise, la carte courte et changeante respecte les produits de saison dont elle annonce, chose rare, l’origine : les poissons viennent de Saint-Jean-de-Luz, le Noir de Bigorre est signé Pierre Matayron, le boudin et l’andouille sont de chez Montauzer, les fromages sont affinés par l’excellent Frédéric Minvielle et les glaces artisanales inventées par le talentueux Txomin. Si souvent condamnés à un "Menu Enfant" insipide, nos chères têtes blondes ou brunes, sans oublier les rouquins et les châtains, découvriront avec bonheur le goût d’un merlu de ligne et d’un écrasé de pommes de terre, celui d’un hamburger façon Bouchon Basque accompagné de pommes frites maison et celui d’une vraie glace artisanale. 
Pleine de trouvailles quotidiennes, la carte s’écrit au jour le jour en fonction du marché en déclinant des plats de bistrot ou de maison de famille servis dans une ambiance bon enfant qui réjouit une clientèle d’habitués agglutinée au comptoir pour déguster quelques fines lamelles de jambon avant de retrouver leur table dans ce Bouchon dont le décor aux couleurs chaudes et rassurantes contribue à faire de cette adresse d’aujourd’hui un lieu qui semble avoir toujours existé. Comme le fait dire Molière à l’un de ses personnages dans le Médecin malgré lui : « Ah ! Ma petite friponne ! Que je t’aime, mon petit bouchon »


Le Bouchon Basque
Tél. 05 59 57 75 18

16 octobre 2012

Hélène et ses glorieux légumes


Sur le marché de Mont-de-Marsan, impossible de les rater ! Les légumes d’Hélène, et ses salades - surtout ses salades - sont en train de devenir célèbres : devant l’étal, juste à droite en entrant par Saint-Roch, la file s’allonge deux fois par semaine, composée surtout - c’est bon signe - d’habitués. Sur le marché où elle vend ses bouquets, un maraîcher qui prépare sa retraite propose en plaisantant à Hélène de reprendre son affaire. Oui, avant d’être dans les choux, Hélène était dans les fleurs. Elle trouve d’abord l’idée saugrenue, puis, à bien y réfléchir, pourquoi pas ? Elle en parle à Sébastien, et le jeune couple décide de se lancer. Évidemment, ça se prépare « Il faut monter un projet, solliciter les banques - elles n’apporteront aucune aide - et solder les PEL ». Une première tentative échoue en 2008, faute de surface suffisante. Ça aurait pu être la fin des haricots, ça en a été le début !  Hélène et Sébastien achètent un petit bois contigu à leur exploitation - qui atteint maintenant les 8 000 m2 de sol sablonneux - et installent des tunnels sous lesquels poussent désormais - selon les saisons - tomates, courgettes et haricots, poivrons et aubergines « On a tout fait nous-même, c’est du boulot ! » Le deuxième essai sera le bon ! Papa défriche tandis qu’Hélène et Sébastien plantent, désherbent - sans moyens mécaniques - et ramassent, accroupis pendant des heures le long des sillons, qu’il pleuve, qu’il vente, ou que le soleil tape « On privilégie ce qui pousse vite, explique Hélène, pour limiter les manipulations, parce que nous ne sommes que deux, et on essaie de faire en priorité ce que les autres ne font pas, c’est-à-dire de la petite feuille, des produits un peu abandonnés que les anciens, jadis, mangeaient à l’état sauvage, que les jeunes redécouvrent ». Et c’est avec cette "petite feuille" que les glorieux légumes - ils poussent à Laglorieuse, sur la route d’Auch - rencontrent le succès : le cresson de jardin - pas de fontaine, nuance - dresse fièrement sa tige bien droite décorée de délicieuses petites feuilles. Il enchante la bouche et les papilles de qui le croque, qui se demande en le dégustant quelle est cette plante bizarre et si savoureuse.

Une glorieuse ambassade
Jean Vignier, ancien second de La Clé d’Argent et Chef de La Bouche en Cœur - le restaurant le plus attachant pour déjeuner en ville - apprécie leur caractère « Cela devient rare, de trouver une salade qui a un goût prononcé de salade ! Ici, on trouve une véritable différence entre les variétés, la laitue a un goût de laitue, la feuille de chêne, un goût de feuille de chêne ». Les glorieux légumes - et les glorieuses salades - sont bien faits, bien finis, ils se gardent longtemps : leur saveur provient de la terre sur laquelle ils naissent et s’épanouissent, de l’absence de traitement « Le strict minimum, et quand on peut éviter, on évite, précise Hélène, et des méthodes naturelles avec lesquelles on s’occupe d’eux ! » Avec le pourpier - variété de plante aux tiges rampantes, un rien arachnéique - Jean imagine des salades originales « La forme peu commune du pourpier permet de joliment présenter l’assiette, son goût poivré plaît aux clients qui, comme pour le cresson, nous interrogent avant de filer s’approvisionner au marché ! » Jean se précipite le mardi matin sur l’étal pour ramener mâche, mesclun, jeunes pousses d’épinard et roquette « J’adore leur roquette ! Poivrée, un peu grasse, consistante en bouche, comme leur mesclun, bien travaillé, feuille à feuille… Mais j’aime aussi leurs tomates, d’un rouge intense, quand tu en mets dans le gaspacho, tout le monde a envie d’en boire ! » La clientèle - plutôt jeune - ne s’y trompe pas : les glorieuses salades - et les glorieux légumes - sont frais, cueillis la veille ou l’avant-veille, puis conservés soigneusement en chambre froide, ils sont beaux, délicieux, ils donnent envie de passer à table au rythme des saisons, de retrouver les vrais saveurs des légumes élevés tranquillement par de vrais producteurs, loin du hors-terre ou de l’intensif. Limite - je dis bien : limite - ils donneraient envie de devenir végétarien…

Les légumes de Laglorieuse d’Hélène et Sébastien
A l’entrée du marché St-Roch (le mardi et le samedi).

La Bouche en Cœur
9, rue Saint-Vincent de Paul
40000 Mont-de-Marsan

Texte et photos : Pierre Brice Lebrun pour La Gazette Gourmande

08 octobre 2012

C'est un jardin extraordinaire…

Partons au Japon quelques instants. Masanobu Fukuoka, disparu en 2008, était microbiologiste. Sceptique quant à l’apport des progrès scientifiques dans l’agriculture, il décide de retourner dans son village natal pour développer une technique plus naturelle dans la ferme de son père. Pendant plus de 25 ans, il ne va pas labourer la terre de ses champs et vite se rendre compte que le rendement ne fait que progresser. Cette agriculture dite "sauvage" a pour principal effet d’enrichir le sol plutôt que de l’épuiser. « Maintenant je sème simplement des graines et j’épands de la paille pour faire pousser mon riz, mais ça m’a pris plus de 30 ans pour parvenir à cette simplicité ». Faire avec la nature plutôt que d’essayer de l’améliorer, voilà la philosophie de ce sage. De plus, cette méthode demande moins de travail et ne crée aucune pollution. Plutôt intéressant ! Mais elle demande une attention et des connaissances pointues en botanique.

© François Poincet

C’est à peu de détails près le chemin que Xavier Planty, co-propriétaire et gérant de Château Guiraud - Premier Cru Classé de Sauternes - a choisi de suivre quand en 1996 il décide d’entamer une reconversion de ses vignes en bio. Bien lui en a pris puisque quinze ans après, Château Guiraud devient le seul des Premiers Grands Crus Classés de 1855 certifié en agriculture biologique. Le risque était élevé, mais comme l’affirmait l’explorateur Paul-Emile Victor « La seule chose promise d’avance à l’échec, c’est celle que l’on ne tente pas ». Certes le parcours pour en arriver là ne fut pas aisé, mais le résultat est une pure merveille. Au point de vue œnologique, car le millésime 2011 de Guiraud est plus structuré et d’une grande complexité aromatique, mais aussi pour l’environnement et le cadre enchanteur de ce domaine.


Datant du XVe siècle, cette exploitation portait alors le nom de Maison Noble du Bayle. C’est au XVIIIe siècle qu’elle devient propriété de la famille Guiraud. En 1844, Les Lur Saluces - voisins et propriétaires d’Yquem - tenteront en vain d’acquérir le domaine. Dévasté pendant la Seconde Guerre Mondiale, Château Guiraud va renaître progressivement pour aujourd’hui appartenir à quatre personnalités passionnés, Robert Peugeot, Olivier Bernard (Domaine de Chevalier), Stephan Von Neipperg (Canon La Gaffelière) et Xavier Planty. 

© François Poincet
L’entrée se fait par une magnifique allée de platanes - vraisemblablement sur les vestiges de la Via Aquitania construite au IIe siècle av. JC et qui reliait Bordeaux à Narbonne - avant de parvenir au château et apprécier la vue sur les vignes et le clocher du village de Sauternes. Devant et autour de vous s'étendent des rangées de vignes transformées en jardin botanique. Si la vue ne perçoit pas tout de suite l’opulence et la générosité du site, l’odorat, lui, est alerté très vite de cette abondance de ressources qui s’offre à vos sens. En s’approchant des rangs de vignes, on découvre tout un écosystème orné de fleurs, d’arbustes et peuplé d’insectes. Couleurs et odeurs vous font presque oublier que vous êtes au cœur de plus de cent hectares d’un des plus prestigieux domaine de Sauternes. 
« Comme il faut travailler pour être naturel ! » disait Louis Jouvet à propos des acteurs. Au Château Guiraud, c’est l’inverse ; moins on travaille la terre, plus elle est naturelle. Les allées sont enherbées et près de 4 km de haies ont été plantées autour des parcelles afin de les protéger des ravageurs de la vigne. Plusieurs essences d’arbustes (noisetier, aubépine, aulne, buis…) composent ces haies qui servent d’habitat aux insectes, rongeurs et oiseaux pendant l’hiver. Cette diversité de la faune permet une régulation naturelle entre les petites proies et leurs prédateurs afin de ne pas avoir de domination d’une ou l’autre espèce. Cette règle s’applique aussi à la flore, « On observe des cycles. Certaines années, telle variété de fleurs prend l’ascendant sur ses voisines et ensuite  laisse sa place à une autre. Il n’y a pas de règles ». Ou alors si, une règle naturelle : celle qui maintient l’équilibre de notre écosystème. Pourvu qu’on ne la contrarie pas… « Quand on ne sait pas, il ne faut surtout pas agir » poursuit Xavier Planty. Alors au cours des dernières années, il s’est beaucoup documenté et a beaucoup lu sur l’agriculture naturelle, la permaculture si chère au microbiologiste Fukuoka. Le résultat est un enchantement, des milliers d’espèces d’insectes et d’animaux (abeilles, bourdons, papillons…) ont fait de ce domaine leur jardin ; ils butinent et contribuent à la "renaturalisation" du site. Au gré de la promenade, on peut voir, là un champ de luzerne qui ravirait quelques ruminantes bazadaises, ici quelques carottes sauvages poussant en liberté.


© François Poincet

« Pour avoir une idée de la perfection et de l’abondance de la Nature, faites une marche dans la forêt de temps à autre. Là-bas, les animaux, les grands arbres et les arbustes vivent en harmonie. Et tout cela sans ingéniosité ou intervention humaine » Masanobu Fukuoka

C’est dans cet environnement idyllique que mûrissent les raisins destinés à l’élaboration des vins de Château Guiraud. Dire que toutes les fleurs se retrouvent dans chaque gorgée du nectar local - et quand je dis nectar, je pense à tous ces insectes qui ont participé à sa fabrication - serait amplifier la vérité. Mais s’imaginer au milieu des vignes, enivré par les senteurs florales portées par le vent et exhalées par la fraîche rosée du matin me semble plus réaliste bien que poétique.

© François Poincet
« Pour faire du bon vin, vendange le dernier » proclamait Virgile dans Les BucoliquesDans l’Antiquité, les vendanges ne commençaient pas avant le mois d’octobre. Les vins obtenus étaient ainsi plus savoureux et de meilleures gardes. Les grecs utilisaient les mots saprias pour définir un nectar au parfum de fleurs, et sapros pour nommer le pourri, le moisi, mais aussi le mûri et le vieux quand il s’agissait d’un vin. Les latins utilisaient sapidus pour exprimer ce qui était lié aux goûts, aux parfums, aux saveurs. Le mot français sapide convient parfaitement - autant que la pantoufle de vair, ou de verre pour certain, sied à Cendrillon - aux vins de Château Guiraud pour leurs arômes de fleurs et leurs fraîcheurs.
Alors, sur du melon, sur du jambon, des coquilles Saint-Jacques, des filets de soles, un vieux Salers, un carpaccio d’ananas ou une salade d’oranges, laissez-vous enivrer - sans excès bien sûr - par les senteurs du jardin de Château Guiraud pour un voyage au cœur de la nature telle qu’elle est.


Merci à Xavier Planty pour son accueil et la visite dans ses splendides vignes.

01 octobre 2012

Chipirons sautés au piment d'Espelette, brochette de ventrèche ibaïona et de polenta bio, risotto à l'encre et à l'Ardi Gasna


Conservatoire vivant de La Cuisine Basque – avec un "L", un "C" et un "B" majuscules - Euskadi est la plus attirante des adresses du Pays Basque nord pour découvrir "Tripoxa, Axoa, Koka" et autres merveilles concoctées par des générations d’Amatxi fidèles à la plus belle des traditions culinaires : celle du cœur. Cuisinier intégriste et défenseur acharné du Piment d’Espelette dont il a inondé la façade de sa maison, André Darraidou a transmis le flambeau de son institution à son fils Auxtin qui en est désormais le parfait maître des lieux. A ses côtés, le Chef Christian Pinaquy exprime aux travers d’apprêts d’une rigueur et d’une discrétion totales toute la fraîcheur des produits. Il les travaille avec un talent "Darraïdouesque" qui perpétue magnifiquement la tradition de cette maison de famille où l’âme basque s’est définitivement installée.



Ingrédients pour 4 personnes :
- 600g de chipirons (garder l'encre)
- 150g de ventrèche Ibaïona*
- 125g de semoule de maïs bio**
- 1,5 l de bouillon de légumes
- 2 cogollos de Tudela
- 12 tomates cerises
- 200g de riz rond
- 10cl de crème liquide
- 100g de fromage de brebis râpé
- 6 piquillos de Lodosa
- 1 oignon
- 1 gousse d'ail
- Vinaigre balsamique
- Huile d'olive & de pépin de raisin
- Sel et piment d'Espelette


Dans une poêle, mettez un filet d'huile d'olive, la gousse d'ail hachée. Faites suer légèrement l'ail sans coloration puis ajoutez les chipirons taillés en julienne. Faites sauter rapidement, assaisonnez sel et piment.
Portez 50cl de bouillon à ébullition et versez en pluie la semoule de maïs en remuant à feu très doux pendant 15 à 20 minutes. Versez sur une plaque en étalant une couche régulière et laissez refroidir. Taillez des cubes de 1cm de côté. Taillez la ventrèche en cubes de la même taille que la polenta et confectionnez des brochettes en alternant. Poêlez les brochettes. Taillez chaque cogollo en 6 dans le sens de la longueur.
Faites bouillir 1 litre de bouillon, ajoutez la crème et l'encre. Après avoir rectifié l'assaisonnement, ciselez les oignons et faites les suer à l'huile d'olive. Ajoutez le riz et remuez jusqu'à ce que les grains soient translucides. Incorporez une louche de bouillon à l'encre et remuez avec une cuillère en bois pour faire gonfler le riz. Procédez ainsi petit à petit pendant 18 minutes. En fin de cuisson, ajoutez le brebis râpé.
Mixez les piquillos et ajoutez 2 cuillères de vinaigre balsamique et d'huile de pépin de raisin. Assaisonnez de sel et de piment d'Espelette et passez au chinois.

Sur une grande assiette ronde, disposez le risotto au milieu, les chipirons par-dessus et autour, répétez trois fois le coulis de piquillos, le cogollo coupé, une brochette et une tomate.


* Ventrèche Ibaïona de chez Ospital
** Semoule de maïs bio "Grand roux basque" de chez Harlouchet - Bussunarits


Tél. 05 59 93 91 88