La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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08 octobre 2012

C'est un jardin extraordinaire…

Partons au Japon quelques instants. Masanobu Fukuoka, disparu en 2008, était microbiologiste. Sceptique quant à l’apport des progrès scientifiques dans l’agriculture, il décide de retourner dans son village natal pour développer une technique plus naturelle dans la ferme de son père. Pendant plus de 25 ans, il ne va pas labourer la terre de ses champs et vite se rendre compte que le rendement ne fait que progresser. Cette agriculture dite "sauvage" a pour principal effet d’enrichir le sol plutôt que de l’épuiser. « Maintenant je sème simplement des graines et j’épands de la paille pour faire pousser mon riz, mais ça m’a pris plus de 30 ans pour parvenir à cette simplicité ». Faire avec la nature plutôt que d’essayer de l’améliorer, voilà la philosophie de ce sage. De plus, cette méthode demande moins de travail et ne crée aucune pollution. Plutôt intéressant ! Mais elle demande une attention et des connaissances pointues en botanique.

© François Poincet

C’est à peu de détails près le chemin que Xavier Planty, co-propriétaire et gérant de Château Guiraud - Premier Cru Classé de Sauternes - a choisi de suivre quand en 1996 il décide d’entamer une reconversion de ses vignes en bio. Bien lui en a pris puisque quinze ans après, Château Guiraud devient le seul des Premiers Grands Crus Classés de 1855 certifié en agriculture biologique. Le risque était élevé, mais comme l’affirmait l’explorateur Paul-Emile Victor « La seule chose promise d’avance à l’échec, c’est celle que l’on ne tente pas ». Certes le parcours pour en arriver là ne fut pas aisé, mais le résultat est une pure merveille. Au point de vue œnologique, car le millésime 2011 de Guiraud est plus structuré et d’une grande complexité aromatique, mais aussi pour l’environnement et le cadre enchanteur de ce domaine.


Datant du XVe siècle, cette exploitation portait alors le nom de Maison Noble du Bayle. C’est au XVIIIe siècle qu’elle devient propriété de la famille Guiraud. En 1844, Les Lur Saluces - voisins et propriétaires d’Yquem - tenteront en vain d’acquérir le domaine. Dévasté pendant la Seconde Guerre Mondiale, Château Guiraud va renaître progressivement pour aujourd’hui appartenir à quatre personnalités passionnés, Robert Peugeot, Olivier Bernard (Domaine de Chevalier), Stephan Von Neipperg (Canon La Gaffelière) et Xavier Planty. 

© François Poincet
L’entrée se fait par une magnifique allée de platanes - vraisemblablement sur les vestiges de la Via Aquitania construite au IIe siècle av. JC et qui reliait Bordeaux à Narbonne - avant de parvenir au château et apprécier la vue sur les vignes et le clocher du village de Sauternes. Devant et autour de vous s'étendent des rangées de vignes transformées en jardin botanique. Si la vue ne perçoit pas tout de suite l’opulence et la générosité du site, l’odorat, lui, est alerté très vite de cette abondance de ressources qui s’offre à vos sens. En s’approchant des rangs de vignes, on découvre tout un écosystème orné de fleurs, d’arbustes et peuplé d’insectes. Couleurs et odeurs vous font presque oublier que vous êtes au cœur de plus de cent hectares d’un des plus prestigieux domaine de Sauternes. 
« Comme il faut travailler pour être naturel ! » disait Louis Jouvet à propos des acteurs. Au Château Guiraud, c’est l’inverse ; moins on travaille la terre, plus elle est naturelle. Les allées sont enherbées et près de 4 km de haies ont été plantées autour des parcelles afin de les protéger des ravageurs de la vigne. Plusieurs essences d’arbustes (noisetier, aubépine, aulne, buis…) composent ces haies qui servent d’habitat aux insectes, rongeurs et oiseaux pendant l’hiver. Cette diversité de la faune permet une régulation naturelle entre les petites proies et leurs prédateurs afin de ne pas avoir de domination d’une ou l’autre espèce. Cette règle s’applique aussi à la flore, « On observe des cycles. Certaines années, telle variété de fleurs prend l’ascendant sur ses voisines et ensuite  laisse sa place à une autre. Il n’y a pas de règles ». Ou alors si, une règle naturelle : celle qui maintient l’équilibre de notre écosystème. Pourvu qu’on ne la contrarie pas… « Quand on ne sait pas, il ne faut surtout pas agir » poursuit Xavier Planty. Alors au cours des dernières années, il s’est beaucoup documenté et a beaucoup lu sur l’agriculture naturelle, la permaculture si chère au microbiologiste Fukuoka. Le résultat est un enchantement, des milliers d’espèces d’insectes et d’animaux (abeilles, bourdons, papillons…) ont fait de ce domaine leur jardin ; ils butinent et contribuent à la "renaturalisation" du site. Au gré de la promenade, on peut voir, là un champ de luzerne qui ravirait quelques ruminantes bazadaises, ici quelques carottes sauvages poussant en liberté.


© François Poincet

« Pour avoir une idée de la perfection et de l’abondance de la Nature, faites une marche dans la forêt de temps à autre. Là-bas, les animaux, les grands arbres et les arbustes vivent en harmonie. Et tout cela sans ingéniosité ou intervention humaine » Masanobu Fukuoka

C’est dans cet environnement idyllique que mûrissent les raisins destinés à l’élaboration des vins de Château Guiraud. Dire que toutes les fleurs se retrouvent dans chaque gorgée du nectar local - et quand je dis nectar, je pense à tous ces insectes qui ont participé à sa fabrication - serait amplifier la vérité. Mais s’imaginer au milieu des vignes, enivré par les senteurs florales portées par le vent et exhalées par la fraîche rosée du matin me semble plus réaliste bien que poétique.

© François Poincet
« Pour faire du bon vin, vendange le dernier » proclamait Virgile dans Les BucoliquesDans l’Antiquité, les vendanges ne commençaient pas avant le mois d’octobre. Les vins obtenus étaient ainsi plus savoureux et de meilleures gardes. Les grecs utilisaient les mots saprias pour définir un nectar au parfum de fleurs, et sapros pour nommer le pourri, le moisi, mais aussi le mûri et le vieux quand il s’agissait d’un vin. Les latins utilisaient sapidus pour exprimer ce qui était lié aux goûts, aux parfums, aux saveurs. Le mot français sapide convient parfaitement - autant que la pantoufle de vair, ou de verre pour certain, sied à Cendrillon - aux vins de Château Guiraud pour leurs arômes de fleurs et leurs fraîcheurs.
Alors, sur du melon, sur du jambon, des coquilles Saint-Jacques, des filets de soles, un vieux Salers, un carpaccio d’ananas ou une salade d’oranges, laissez-vous enivrer - sans excès bien sûr - par les senteurs du jardin de Château Guiraud pour un voyage au cœur de la nature telle qu’elle est.


Merci à Xavier Planty pour son accueil et la visite dans ses splendides vignes.

2 commentaires:

  1. est-ce que vous avez lu la légende du sauternes dans le livre "château de fleurac"?

    http://www.amazon.de/Schloss-Fleurac-ebook/dp/B006ZKYHMQ

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  2. Non. N'existe t-il qu'en allemand ?

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