La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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30 avril 2012

Gueuze, Faro, Kriek et Lambic sont dans un camion…

Aux alentours de Bruxelles, on ne brasse le lambic qu’en hiver pour qu’il s’ensemence naturellement, de levures sauvages et de bactéries qui ne supportent pas la chaleur… La brasserie Boon est à juste titre réputée pour ses lambics : plus ou moins acide (selon son âge), le lambic pétille peu, mousse peu, et titre environ 5°. Il est brassé d’octobre à mai dans la vallée de la Senne, au sud de Bruxelles, et dans le Pajottenland, un peu plus à l’ouest. Son nom proviendrait de l’alambic - dans la même région est distillé le genièvre qui donne le fabuleux péquet - ou du nom, Lembeek, de la commune où est installée la brasserie Boon. On a compté jusqu’à 3 500 brasseries, en Belgique, mais il n’en reste guère plus d’une centaine (pour près de 5 000 baraques à frites), et la brasserie Boon existe depuis 1680 : familiale et artisanale, ce n’est pas demain qu’elle se laissera racheter par un géant de la bibine sans âme.


Le mystère des voies enzymatiques
Le lambic (oui : le ! pas la) est une bière de fermentation spontanée, brassé à partir de malt d’orge et de froment (dans des proportions qui varient selon les brasseurs). On leur ajoute
- en cours de cuisson - un peu de houblon suranné (suranné parce qu’âgé de deux à trois ans). On laisse ensuite le moût refroidir sous les toits, et c’est alors - au cœur de la nuit - qu’à l’air libre le miracle se produit : des bactéries et des levures sauvages, par l’odeur alléchées, se précipitent dans l’appétissant liquide pour l’ensemencer - dans une ronde orgiaque que n’auraient pas renié Dionysos et Gambrinus - jusqu’au petit matin… Ces bactéries, que l’on ne trouve nulle part ailleurs, sont l’âme du lambic, elles permettent qu’on ne lui ajoute aucune levure : c’est pourquoi on parle de fermentation spontanée. 

Mais au fait : la bière, c’est quoi ? 
La bière est une boisson alcoolisée obtenue par transformation de matières amylacées par voies enzymatiques et microbiologiques (la formule n’est pas de moi). En clair ? Une boisson alcoolisée - inventée 6 000 ans avant JC en Mésopotamie - que l’on obtient en laissant fermenter du malt (c’est-à-dire des céréales germées, orge, froment ou seigle, et houblon) dans de l’eau. Le whisky - tant qu’on en est à rappeler les fondamentaux - est une bière jeune distillée, après que le wort - du grist brassé - soit devenu wash… 
Bref. On s’occupera du whisky une autre fois. 
Il existe trois familles de bières, les lambics (fermentation spontanée), les lagers (fermentation basse) et les ales (fermentation haute) : la pils, la blonde que l’on avale fraîche au comptoir, est une lager (qui ne veut pas dire "légère", comme on pourrait le croire, mais "entreposer, stocker"). On verse dans le moût - le malt cuit à l’eau - de la levure dite "basse" pour réaliser une fermentation basse : la levure basse disparaît en une semaine au fond de la cuve. On verse dans le moût de la levure dite "haute" pour réaliser une fermentation haute : la levure haute remonte à la surface au bout de quelques jours, quand elle a épuisé le glucose (qui, de notoriété publique, est une petite nature). Le moût ensemencé du lambic est mis en barrique, de chêne ou de châtaignier, pour fermenter en paix : le lambic jeune y reste entre six et douze mois, c’est peu, le lambic vieux peut, c’est mieux, attendre au moins trois ans l’heure de sa libération.

Manneke, Champagne !
On ne trouve du lambic en Belgique que dans de rares cafés. Il n’est que très rarement conditionné en bouteille : il va donc falloir faire le voyage pour découvrir cette étonnante merveille ! Le lambic sert en fait surtout de base au faro (le sucre roux ajouté au lambic crée une seconde fermentation : les filles en raffolent), à la gueuze, et à la kriek. La gueuze, aussi appelée - elle le mérite - Champagne de Bruxelles, qui accompagne idéalement les fruits de mer et les endives, est un assemblage subtil de lambics jeunes et vieux, aromatisés de sucre candi et d’épices. 

La Oude Gueuze de la brasserie Boon - toujours elle - mature deux ans en fûts de chêne : cela lui donne un petit goût de champagne très spécial (Oude veut dire "vieille"). La kriek (kriek veut dire cerise) est un lambic fermenté avec des cerises acides Morello : 240 grammes par litre, 300 pour la Oude kriek (foies sensibles, s’abstenir). La kriek, c’est étonnant, est portée sur la blanquette, et sur le brebis (ne l’aime-t-on pas, ici, d’ailleurs, accompagné de cerises noires ?). 
La Boon framboise est brassée comme la kriek, sauf que la framboise - vous l’avez compris - remplace la cerise (imaginez tout de même qu’aux States, son millésime 1986 a obtenu le prix de "meilleure bière de l'année").

Vous vous demandez - c’est légitime, le lecteur est Roi - pourquoi il nous prend l’idée de vous entretenir de bières belges artisanales et confidentielles : mais parce qu’on en trouve par ici, pardi ! Grâce à Mathieu et son épouse, qui ont en couple quitté leur natale Belgique pour descendre vers le Sud. Ils visaient l’Espagne : ils se sont arrêtés aux pieds des Pyrénées. Ils ont eu l’idée - pour rendre service : le Belge est d’une nature serviable - d’importer en Gascogne quelques bières artisanales produites par des amis : le succès a été tel que, désormais, grâce à eux, ça sent la bière et le lambic de Tarbes à Saint-Sever, ça sent la bière et le lambic, Dieu, que c’est bon !


Les bières de Mathieu 
Mathieu, au volant de son camion (il a commencé avec un VW Transporter antédiluvien, il est à deux doigts de passer au semi-remorque), remonte tous les deux mois en Belgique, faire le plein de bières artisanales à la Brasserie Boon, à la brasserie des Écaussinnes (remise en route, il y a quinze ans, par Hugues et Isabel Van Poucke), et à la brasserie de Silly (fondée en 1850, exploitée aujourd'hui par la cinquième génération). Mathieu n’aligne pas moins d’une vingtaine de bières : il y en a vraiment pour tous les goûts ! Histoire de ne pas rouler à vide, Mathieu a eu une idée : passer par Agen pour remonter dans le Hainaut quelques palettes de pruneaux (ça rime). Le jumelage de Seneffe, la voisine d’Écaussinnes avec Penne d’Agenais a enfanté la Peneffoise, une étonnante bière (belge) brassée avec des pruneaux (d’Agen), ajoutés en fin de brassage, pour adoucir l’entrée en bouche (Mathieu a très envie d’essayer avec la pêche roussanne de Monein).

Les bières de Mathieu sont sur www.le-site-de-mathieu.com
Tél. 06 07 45 50 09 - 04 98 19 47 97
On retrouve quelques-unes de ses bières à l’Épicerie Cocagne de Mont-de-Marsan (40) et Ô Marché Gourmand de Barcelonne-du-Gers (32).


Texte : Pierre Brice Lebrun pour La Gazette Gourmande
Photos : Brasserie Boon & Pierre Brice Lebrun


A consommer avec modération (évidemment…).